La production textile mondiale a connu une croissance fulgurante au cours des dernières décennies, alimentée par le modèle de la « fast fashion » et les changements de comportement des consommateurs. Cependant, cette surabondance de vêtements a engendré des défis environnementaux majeurs, avec des milliards de kilos de textiles finissant chaque année dans les décharges ou incinérés. Face à cette situation préoccupante, l’industrie textile est en quête de solutions durables, notamment à travers le recyclage. Mais les obstacles sont nombreux et la mise en place d’un dispositif efficace de Responsabilité Élargie du Producteur (REP) semble être une piste prometteuse.
L’urgence d’agir : Les chiffres alarmants du gaspillage textile
La production mondiale de vêtements a plus que doublé entre 2000 et 2014, passant de 50 milliards d’unités à plus de 100 milliards. En parallèle, la durée de vie moyenne d’un vêtement a été divisée par deux, les consommateurs achetant désormais 40% de vêtements en plus qu’il y a 15 ans. Cette surconsommation a des conséquences désastreuses : seuls 39% des textiles mis sur le marché français en 2020 ont été collectés, le reste finissant dans les poubelles ou exporté. Pire encore, 7,7 kg de textiles par personne sont jetés chaque année dans la poubelle classique, soit autant de matières brûlées ou enfouies au lieu d’être réutilisées ou recyclées.
L’environnement lourdement impacté
Cette surproduction et cette élimination massive de textiles ont un coût environnemental considérable. La filière textile est responsable d’environ 8% des émissions mondiales de CO2 et de 20% de la pollution des eaux, notamment à cause des procédés de teinture et de finition. Face à ces chiffres alarmants, l’urgence d’agir en faveur d’une économie circulaire du textile est plus que jamais d’actualité.
Vers une économie circulaire du textile : Les défis du recyclage
Malgré les efforts de collecte et de tri, le recyclage des textiles reste un défi de taille. Seul 1% des fibres qui composent nos vêtements sont effectivement recyclés pour en faire de nouveaux. La majorité des textiles collectés sont soit réutilisés (55%), soit transformés en chiffons ou en isolants (37%), tandis qu’une part non négligeable (8%) finit encore en décharge.
La complexité du recyclage textile
Plusieurs facteurs expliquent cette faible performance du recyclage textile. Tout d’abord, la grande diversité des matériaux utilisés (coton, polyester, laine, mélanges, etc.) nécessite un tri minutieux pour une valorisation optimale. De plus, les traitements, impressions et accessoires ajoutés aux vêtements compliquent davantage le processus. Enfin, le manque d’infrastructures locales de recyclage à grande échelle freine le développement de cette filière.
Le réemploi, priorité environnementale
Face à ces défis, la réutilisation des textiles apparaît comme la solution la plus vertueuse d’un point de vue environnemental. En effet, une étude a montré que la réutilisation d’un vêtement permet une réduction bien plus importante de l’impact climatique et de l’épuisement des ressources que son recyclage. Cependant, le taux de réutilisation des textiles en France ne cesse de baisser, passant de 64% en 2014 à 56,6% en 2020, menaçant les acteurs historiques de la filière comme Emmaüs.
L’EuRIC plaide pour une REP ambitieuse du textile
Face à ces enjeux, l’EuRIC (Fédération Européenne du Recyclage) a récemment publié un appel en faveur de la mise en place d’un dispositif de Responsabilité Élargie du Producteur (REP) pour le secteur textile. Cette REP viserait à responsabiliser davantage les fabricants et à leur donner les moyens d’investir dans des solutions de recyclage et de réemploi plus performantes.
Les objectifs d’une REP textile ambitieuse
Selon l’EuRIC, cette REP devrait s’articuler autour de plusieurs axes clés :
Collecte et tri optimisés
L’objectif serait d’atteindre des taux de collecte et de tri élevés, permettant de capter une part significative des textiles en fin de vie. Cela passe notamment par le déploiement de points de collecte de proximité et l’amélioration des infrastructures de tri.
Soutien à l’économie circulaire
La REP devrait également fournir les moyens nécessaires pour développer les filières de réemploi et de recyclage à grande échelle. Cela impliquerait des investissements dans de nouvelles technologies de recyclage, ainsi que dans la création de débouchés pour les matières recyclées.
Incitations à l’écoconception
Enfin, la REP devrait encourager les fabricants à concevoir des produits plus durables, réparables et recyclables, en les récompensant financièrement pour leurs efforts.
Les bénéfices attendus d’une REP textile
La mise en place d’une REP ambitieuse pour le secteur textile permettrait de nombreux avantages :
- Augmentation significative des taux de collecte et de recyclage des textiles
- Création d’emplois dans les filières de réemploi et de recyclage, plus créatrices d’emplois que l’élimination des déchets
- Réduction de l’impact environnemental de l’industrie textile, notamment en termes d’émissions de CO2 et de pollution des eaux
- Encouragement à l’écoconception et à la durabilité des produits textiles
- Sensibilisation des consommateurs à l’importance du recyclage et du réemploi des vêtements
L’exemple inspirant de la filière du verre
Pour illustrer le potentiel d’une REP ambitieuse, on peut s’inspirer du modèle de la filière du verre, qui connaît un taux de recyclage élevé. Plusieurs facteurs clés expliquent ce succès :
- Des volumes importants de verre collectés, permettant des économies d’échelle
- L’utilisation de calcin (verre recyclé) plutôt que de nouvelles matières premières, générant des économies
- Une relative homogénéité des produits (verre coloré ou incolore)
- De nombreuses applications finales pour le verre recyclé
Ces enseignements pourraient être transposés à la filière textile afin d’en améliorer drastiquement les performances de recyclage.
Des initiatives prometteuses, mais à amplifier
Malgré les défis, on observe déjà des initiatives intéressantes dans le domaine du recyclage textile, qui méritent d’être soutenues et amplifiées.
Réutilisation et transformation créative
Certaines entreprises comme Havep Collect & Recycle ou Gaia Circulair proposent des solutions de collecte et de réutilisation des vêtements. D’autres, comme Pōur, transforment les textiles usagés en produits uniques et durables, comme des sacs. Bien que ces initiatives restent encore à petite échelle, elles démontrent le potentiel de l’économie circulaire dans le secteur.
Recyclage mécanique et chimique
Sur le plan du recyclage, des procédés mécaniques permettent de réduire les textiles en fibres qui peuvent ensuite être mélangées à du neuf pour créer de nouveaux fils. Des traitements chimiques, comme la fonte ou la dissolution, offrent également des perspectives intéressantes pour recycler les fibres de manière plus qualitative.
Projets pilotes innovants
Enfin, de nombreux projets pilotes émergent, explorant de nouvelles voies pour le recyclage textile. Citons par exemple les initiatives visant à fabriquer de nouveaux vêtements à partir de fibres recyclées, ou encore celles qui valorisent les textiles en fin de vie dans des applications comme l’isolation.
Vers une économie circulaire textile ambitieuse
Face à l’urgence environnementale, l’industrie textile doit accélérer sa transition vers un modèle plus durable. La mise en place d’une REP ambitieuse semble être un levier essentiel pour y parvenir, en responsabilisant davantage les acteurs et en leur donnant les moyens d’investir dans des solutions innovantes de recyclage et de réemploi.
Un défi à relever collectivement
Cependant, la transformation de la filière textile ne pourra se faire sans l’engagement de l’ensemble des parties prenantes : pouvoirs publics, industriels, consommateurs et associations. Chacun aura un rôle à jouer pour faire émerger une véritable économie circulaire du textile, qui permette de réduire drastiquement l’impact environnemental de ce secteur.
Une opportunité de réinventer un modèle
Au-delà des enjeux environnementaux, la transition vers une économie circulaire du textile représente également une formidable opportunité de réinventer un modèle économique plus durable, créateur d’emplois et de valeur ajoutée. En misant sur l’innovation, la réparation, le réemploi et le recyclage, l’industrie textile peut trouver un nouveau souffle et redonner ses lettres de noblesse à un secteur trop souvent décrié.
En bref…
L’heure est venue pour l’industrie textile de se réinventer en profondeur, afin de relever le défi environnemental auquel elle est confrontée. La mise en place d’une REP ambitieuse, telle que préconisée par l’EuRIC, semble être une piste prometteuse pour y parvenir. En mobilisant l’ensemble des acteurs autour de cet objectif, la filière textile peut devenir un modèle de l’économie circulaire, conciliant performance économique et respect de l’environnement.